« Quand nos mots bâtissent des cathédrales ou creusent des tombes – une méditation sur le pouvoir sacré (et dangereux) de la parole, d’Ésope à Jésus, en passant par nos écrans. »
Introduction : La Langue : Ce Couteau Suisse de l’Âme (Qui Peut Sauver… ou Égorger)
Imaginez un instant : votre langue est un muscle. Pas celui, visible, que vous contractez en souriant ou en mâchant, mais un muscle invisible, aussi puissant que vos biceps, aussi endurant que votre cœur. Un muscle qui, selon la façon dont vous l’exercez, peut soulever des montagnes d’espoir… ou écraser des vies sous des avalanches de mots.
Ésope, cet esclave phrygien au regard perçant, l’avait compris bien avant nous. Un jour, son maître Xanthus lui lance un défi : « Achète-moi ce qu’il y a de meilleur au monde. » Ésope revient avec des langues. Le lendemain, même ordre, mais inverse : « Apporte-moi ce qu’il y a de pire. » Il ramène… des langues à nouveau. Stupéfaction. « La langue, explique-t-il, est à la fois le plus grand bien et le plus grand mal. » En deux phrases, il venait de résumer l’enjeu de toute existence humaine : nos mots sont des graines – ils germent en forêts luxuriantes ou en champs de ruines.
Mais voici la question qui devrait nous hanter : qui maîtrise ce muscle ? Sommes-nous les propriétaires de notre langue, ou ses esclaves ? Parle-t-on par nous, ou pour nous ? Et si, au fond, le vrai maître de notre langue n’était ni Xanthus, ni Crésus, ni même notre ego… mais Dieu lui-même ?
Partie 1 : « Ta Langue a Deux Maîtres (Et Tu Dois Choisir) » : Leçon d’Ésope, Écho de la Bible
La Fable qui Déchire le Voile : Quand la Langue Devient un Miroir Brisé
Reprenons la scène, mais cette fois, mettons-nous à la place des convives. Vous êtes attablé, une langue rôtie devant vous, juteuse et appétissante. Ésope vous regarde droit dans les yeux et déclare : « Ce morceau de chair que vous mâchez peut bâtir des empires… ou les réduire en cendres. » Silence gêné. Personne ne rit. Parce que, soudain, votre propre langue vous semble lourde dans votre bouche.
Ésope n’invente rien : il dévoile. La langue, chez les Grecs, est déjà un symbole ambivalent. Elle est Hermès, le messager des dieux, mais aussi Éris, la déesse de la discorde. Elle est l’outil du poète qui chante l’amour… et l’arme du calomniateur qui assassine une réputation. Aujourd’hui encore, rien n’a changé. Un tweet peut déclencher une révolution ou pousser un adolescent au suicide. Un sermon peut guérir une âme ou la broyer sous le poids de la culpabilité. La langue est un pouvoir. Et tout pouvoir, dit l’adage, corrompt.
Mais voici ce qu’Ésope ne dit pas explicitement (et que la Bible, elle, hurle) : ce pouvoir n’est pas neutre. Il a deux maîtres potentiels :
- L’ego – ce tyran qui murmure : « Dis cette méchanceté, ça te soulagera. Ment un peu, ça t’avancera. Humilie-le, ça te grandira. »
- Dieu – cette voix qui chuchote : « Parle pour guérir. Tais-toi pour écouter. Bénis, même si on te maudit. »
Le choix est violent, parce qu’il est quotidien.
La Bible Entérine le Diagnostic : Ta Langue est un Champ de Bataille
Si Ésope plante le décor, la Bible y met le feu. Dès la Genèse, Dieu crée par la parole (« Que la lumière soit ! »). Le Verbe est acte pur, amour pur. Puis vient l’homme, et avec lui… le premier mensonge (Adam accusant Ève, Caïn niant le meurtre d’Abel).
La langue, instrument de vie, devient alors un instrument de mort.
Les Proverbes sont sans pitié :
« La mort et la vie sont au pouvoir de la langue. » (Pr 18:21)
Jacques, lui, va plus loin :
« La langue est un feu, un monde d’iniquité. Elle souille tout le corps. » (Jc 3:6)
Attendez. « Un monde d’iniquité » ? Jacques compare notre langue à… l’enfer lui-même. Pourquoi une telle violence ? Parce qu’il a vu, comme nous, ce que les mots font aux gens. Une rumeur peut détruire un mariage. Une moquerie peut briser une enfance. Un jugement hâtif peut condamner un innocent.
Et puis, il y a Jésus. Lui qui est la Parole faite chair (Jn 1:14), lui qui guérit par un mot (« Lève-toi et marche »), lui qui se tait devant ses accusateurs (Mt 27:12). Son silence est une leçon : parfois, ne pas parler est le plus grand acte de parole.
Alors, la question devient pressante :
- Si Jésus est la Parole incarnée… quelle part de Lui habite nos paroles ?
- Si notre langue est un muscle… quel entraîneur suivons-nous ? Celui qui nous pousse à frapper, ou Celui qui nous apprend à porter ?
Partie 2 : « Un Seul Maître au Milieu de Maîtres ? » : Quand les Chrétiens Oublient Que Leur Langue Appartient à Dieu
Le Drame des « Double-Langues » : Quand les Fidèles Deviennent des Pharisiens 2.0
Il y a une tragédie moderne qui se joue dans nos églises, nos communautés, nos familles chrétiennes. Nous prions avec des langues d’anges… et nous tuons avec des langues de vipères. Le dimanche, nous chantons « Que ma bouche soit remplie de ta louange », et le lundi, nous démolissons un collègue dans son dos ou nous promulgons des paroles diffamatoire sur un paroissien(ne) parce que nous avons jugée que la personne est coupable ! Nous l’avons condamnée sans procès, sans nous mettre nous même en cause !
Est-ce que le simple fait d’un désaccord sur le plan pastorale justifie une telle condamnation, un homicide selon Saint Thomas d’Aquin ? Cela fait penser également au prophète Jéremie:
Cependant, ils ont dit: « Venez, préparons un plan contre Jérémie ! L’enseignement ne manquera pas, puisque nous avons des prêtres, ni les conseils, puisque nous avons des sages, ni les paroles, puisque nous avons des prophètes. Venez, tuons-le à coups de paroles et ne prêtons aucune attention à tout ce qu’il dit ! »(Jer 18:18)
Saint Paul avait prévenu :
« Leur gosier est un tombeau ouvert. » (Rm 3:13)
Un tombeau ouvert. Pensez à cette image : vos paroles peuvent sentir la pourriture. Chaque médisance, chaque jugement, chaque mot blessant est un cadavre que vous traînez avec vous. Et pire : vous forcez les autres à le respirer.
Prenons un exemple concret (et douloureux) : les réseaux sociaux chrétiens. Combien de comptes « catholiques » ou « évangéliques » qui partagent des versets bibliques le matin… et des polémiques haineuses l’après-midi ? Combien de prêtres ou de pasteurs qui prêchent l’amour du prochain en chaire… et écrasent leurs ouailles en privé ou à la sortie d’une messe, d’un office, une soirée de prière… ?
Voilà le scandale : nous avons deux langues – une pour Dieu, une pour le monde. Mais Dieu n’est pas dupe. Jésus a été clair :
« Ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur !’ qu’on entrera dans le Royaume, mais en faisant la volonté de mon Père. » (Mt 7:21)
La volonté du Père ?
Que notre langue soit une – cohérente, vraie, aimante.
Le Cas des « Ministres à Double Visage » : Quand la Langue Trahit la Mission
Ici, je m’adresse surtout aux prêtres, aux pasteurs, aux responsables spirituels. Vous qui avez reçu l’autorité de la parole – cette autorité qui peut absoudre les péchés, bénir les mariages, annoncer l’Évangile – sachez une chose : votre langue n’est pas à vous !
Elle appartient à Celui qui vous a appelés. Et Il vous demandera des comptes.
Combien de drames j’ai entendus :
- « Mon curé m’a dit que j’étais damné parce que j’avais divorcé. »
- « Ma pasteure a répandu des rumeurs sur moi parce que je posais des questions. »
- « Mon confesseur m’a humilié au lieu de me relever. »
- « Mon curé nous a dit de ne pas spiritualiser les faites quand nous lui avons demandé de l’aide concernant des propos diffamatoirs et médisant de la part d’un autre prêtre à notre égard. Aucune solution ni un demande de pardon n’est envisagé. Pire encore, aucune démarche pour retablir la vérité, ni de pardon et de réconciliation a été fai… »
Ces paroles sont des pierres. Des pierres qui construisent des murs entre les fidèles et Dieu. Et ces ne sont que quelque paroles le moins pier de tout ce que j’ai entendu ces derniers années de la part des frère en Christ.
Pourtant, l’Église est censée être un hôpital de campagne, pas une cour de justice. Comme le disait le pape François :
« La miséricorde est le visage de Dieu. »
Alors, où est la miséricorde dans vos paroles ?
- Quand vous jugez au lieu d’écouter ?
- Quand vous condamnez au lieu de guérir ?
- Quand vous parlez plus que vous n’aimez ?
- Quand vous dites « de ne pas spiritualiser » par loyauté pour un confrère ou par peur du scandale ?
Un seul Maître doit régner sur votre langue : le Christ. Pas votre ego. Pas votre peur. Pas votre besoin de contrôler. Lui seul.
Et si vous ne pouvez pas parler comme Lui, alors… taisez-vous. Parce que le silence d’un saint vaut mieux que les discours d’un pharisien.
Le Christ est venu, il est le Chemin, la Vie et la Vérité ! De vouloir vivre selon ses paroles, répondre à son appel, suivre ses traces en pardonant « 70x7x » à un frère qui a manqué la cible (la traduction du mot « péché »= « manquer, rater la cible »)
Partie 3 : « Réapprendre à Parler : Le Jeûne des Mots Inutiles » – Un Chemin de Guérison
Le Premier Pas : Reconnaître Que Notre Langue est Malade
Avant de guérir, il faut diagnostiquer. Alors, prenons un moment pour ausculter notre langue :
- Combien de fois par jour mentons-nous (même par omission) ?
- Combien de fois médisons-nous (même « juste un peu ») ?
- Combien de fois blessons-nous (même « sans le vouloir ») ?
La vérité, c’est que notre langue est intoxiquée. Intoxiquée par :
- La culture du clash (il faut mettre ‘à terre’ l’adversaire, de ses idées auxquelles nous n’adhérons pas).
- La peur du silence (il faut toujours avoir quelque chose à dire).
- L’illusion du contrôle (les mots nous donnent l’impression de dominer).
Mais il y a un remède. Un remède ancien, radical, libérateur : le jeûne des mots inutiles.
Trois Exercices Spirituels pour Muscler une Langue Sainte
Le « Filtre des Trois Passoires » (Inspiré de Socrate)
Avant de parler, demandez-vous :
- Est-ce VRAI ? (Ou est-ce une rumeur, une exagération ?)
- Est-ce BON ? (Ou est-ce méchant, inutile, blessant ?)
- Est-ce UTILE ? (Ou est-ce juste pour me soulager, me donner raison ?)
Si une seule réponse est « non », taisez-vous.
La « Règle de Saint Benoît » : Écouter Davantage, Parler Moins
Saint Benoît, père du monachisme occidental, écrivait dans sa Règle :
« Le moine doit aimer le silence.… : Qu’il évite les paroles oiseuses, les rires bruyants, les propos futiles. »
Essayez une journée sans parole superflue. Juste l’essentiel. Vous verrez : le silence est un miroir. Il révèle ce qui, en nous, a peur de se taire.
La « Prières des Mots » : Transformer Chaque Parole en Offrande
Chaque matin, offrez votre langue à Dieu :
« Seigneur, aujourd’hui, que mes paroles soient les Tiennes. Que je ne dise rien que Tu ne puisses signer de Ton Nom. »
Et le soir, faites un examen de conscience linguistique :
- Quelles paroles ont construit ?
- Quelles paroles ont détruit ?
- Où ai-je été maître de ma langue… et où en ai-je été l’esclave ?
Le Secret Ultime : Parler Comme Jésus, Pas De Jésus
Nous pouvons citer la Bible jour et nuit, mais si nos paroles ne ressemblent pas à celles du Christ, nous sommes des imposteurs.
Jésus a parlé :
- Avec compassion (la femme adultère : « Je ne te condamne pas. »).
- Avec vérité (aux pharisiens : « Hypocrites ! »).
- Avec silence (devant Pilate).
Sa parole était toujours :
- Nécéssaire (pas de bavardage).
- Vraie (pas de mensonge).
- Aimante (même dans la réprimande).
Notre défi ? Devenir des « Christ-parleurs ». Des gens dont les mots guérissent, élèvent, libèrent.
🙏Conclusion : « Ta Langue est un Autel : Que Sacrifies-Tu Dessus ? »
Nous voici au terme de cette méditation. Alors**, qui est le maître de votre langue** ?
- Est-ce la peur ? (Alors vos mots seront des armes.)
- Est-ce l’orgueil ? (Alors vos mots seront des pièges.)
- Est-ce l’amour ? (Alors vos mots seront des ponts.)
Ésope avait raison : la langue est le meilleur et le pire. Mais Jésus nous offre une troisième voie : la langue comme instrument de grâce.
Alors, aujourd’hui, choisissons :
- Moins de mots, plus de sens.
- Moins de bruit, plus d’écoute.
- Moins de jugements, plus de miséricorde.
Parce qu’au fond, il n’y a qu’un seul Maître digne de notre langue : Celui qui, par Sa Parole, a créé le monde… et qui, par Son silence, l’a sauvé.
« Que les paroles de ma bouche et la méditation de mon cœur soient agréables devant Toi, Seigneur, mon rocher et mon rédempteur. » (Ps 19:14)
Amen.
